Michel Delsol

La première fois que j’ai rencontré Maxime Lamotte j’étais assistant chez le professeur Galien et mon maître m’avait envoyé lui demander un renseignement sur un problème technique.
Maxime me reçut avec un sourire que je n’ai jamais oublié. C’était le sourire d’un homme bon que j’ai retrouvé chaque fois que nous nous sommes revus dans les 60 ans d’amitié qui ont suivi. C’était la marque avec laquelle il accueillait ses visiteurs. Je n’ai connu personne qui me reçoive de cette façon.
Notre première rencontre dura deux heures et, si mes souvenirs sont bons, nous avons parlé entre autre de l’évolution des batraciens, certains auteurs à cette époque suggérant un diphylétisme. Il m’apparut tout de suite comme un passionné. Il avait une étonnante capacité à observer la nature. Il m’a raconté comment il avait ramassé son premier Nectophynoîdes au Nimba.
C’était aussi un infatigable travailleur. Le nombre d’ouvrages et articles qu’il a produits en témoignent.
Sur l’immense zoologie il savait tout. Il m’a un jour raconté que dans cette discipline il avait été amené à faire des cours sur tous les groupes.
Sur l’évolution il savait également tout et savait l’expliquer admirablement.
Ayant fait mes études dans une autre école de pensée que la sienne, dans les premières années de nos rencontres, malgré nos relations amicales, nous n’étions pas toujours d’accord. Il m’amena peu à peu dans le courant de la théorie synthétique qui à cette époque était encore mal enseignée en France.
Dans ce texte je ne parle que des qualités qui font un véritable ami. Mais je n’ai pas parlé de son oeuvre, la Société zoologique de France s’en chargera dans le recueil qu’elle prépare à sa mémoire. Il y a cependant un trait que je voudrais soulever : il avait un don étonnant pour dominer les problèmes les plus complexes.
Au milieu de son oeuvre très importante il a dirigé deux livres qui ont été l’objet de colloques de la Société zoologique de France. Un premier ouvrage en un seul tome se nomme Le polymorphisme dans le monde animal, le deuxième Les problèmes de l’espèce dans le règne animal, en trois tomes, auquel participèrent 33 auteurs où il réussit avec Bocquet et Génermont une unité étonnante pour la valeur de ses articles et leur densité. On peut considérer que c’est là son chef-d’oeuvre. Je suis toujours intéressé moi-même par le problème de l’espèce et il y a dans ma bibliothèque plus de dix colloques sur ce sujet. On ne peut pas douter que, parmi tous ses ouvrages, le meilleur est celui qu’il a dirigé et où s’est manifesté son esprit de synthèse.
Il aimait les grands voyages. Jeune, en 1941 et 1942, il était parti en Guinée, au Nimba. Par la suite il courut le monde à l’occasion de congrès mais également pour s’occuper de son laboratoire qu’il avait fondé à Lamto.
Dans les grandes randonnées que nous avons eu l’occasion de faire ensemble dans les pays étrangers avec nos épouses, il voulait toujours tout voir. Il quittait la route pour aller regarder un site inscrit dans le guide et un jour il voulut s’arrêter pour observer les ânes sauvages du Désert de la Mort. C’était un véritable naturaliste.
Il faut dire aussi combien il aimait son pays. Il a toujours veillé à maintenir partout la langue française. Bien qu’il soit parfaitement capable de parler anglais, il parlait français dans les congrès. Il est même arrivé que les organisateurs de l’un de ces congrès traduise, pour la publication finale, en anglais ce qu’il avait prononcé en français.
Maxime était catholique et profondément croyant. Nous avions à ce sujet à peu près les mêmes idées. Nous avions aussi parfois certains doutes, il n’existe pas de croyant qui n’en ait pas. Il y a cependant des problèmes dont je regrette maintenant de ne pas avoir discuté avec lui. Les miracles par exemple.
Son comportement tout entier était plus qu’on ne le croit marqué par le christianisme et je sais que souvent, en tant que directeur de laboratoire, il se posait des questions sur ce qu’il « devait » faire. Il m’a parfois demandé mon avis sur certains sujets délicats.
Sa vision du monde était claire. Il était persuadé que la Bible devait être lue comme une parabole et non pas à la lettre, en particulier en ce qui concerne les problèmes qui sont encore l’objet, dans quelques milieux, de nombreuses discussions.
Il ne s’est jamais pour autant enthousiasmé pour certaines visions futuristes. Je n’ai, par exemple, pas eu l’impression qu’il ait cru aux vues d’avenir de Teilhard de Chardin ni au point Oméga. Du reste, il ne pouvait pas croire, en tant que synthéticien, aux idées que se faisait l’illustre jésuite sur l’orthogenèse dans l’évolution. Ses positions sur le jeu des mutations sélectionnées ne lui permettaient tout simplement pas d’accepter ce système évolutif de type finaliste.
Voilà ce que fut pour moi mon ami Maxime Lamotte pendant 60 ans.