« La découverte du mont Nimba, ou l’aventure initiatique »
La première expédition de Maxime Lamotte au mont Nimba, en 1942, a eu un impact déterminant pour la suite de sa carrière, avec la découverte d’un milieu tropical exceptionnellement varié et resté naturel. C’est là qu’il mit en oeuvre des études quantitatives sur la faune, qu’il transposa ensuite à l’analyse de l’écosystème des savanes de Lamto, en Côte d’Ivoire, dans le cadre du Programme Biologique International. Tout au long de sa vie, il s’est efforcé de mieux faire connaître et de faire protéger le mont Nimba, que l’Unesco a classé en 1981 comme Réserve de Biosphère et Site du Patrimoine mondial.
Maxime Lamotte, alors élève de troisième année à l’École normale supérieure, a eu la chance d’être en 1941 l’un des six « jeunes savants » qui ont été bénéficiaires d’une bourse de la Ligue maritime et coloniale pour aller faire du travail de terrain en Afrique occidentale française afin de renforcer les liens amicaux de la métropole avec ses colonies, et cela a eu une action déterminante sur la suite de sa carrière. C’est ainsi qu’au terme d’un voyage en paquebot de Marseille à Dakar, puis
en train de Dakar à Tambacounda, puis en camion jusqu’à Conakry, à nouveau en train jusqu’à Kouroussa, enfin encore en camion, il se retrouva en février 1942 à Nzo en Guinée, au pied du mont Nimba, chaîne de 40 km de long sur 5 à 10 de large qui s’étend du nord-est au sud-ouest autour du point triple Guinée-Côte d’Ivoire-Liberia et domine le piedmont d’une altitude moyenne de 500 m avec sa longue ligne de crête qui culmine à 1752 m sur la frontière Guinée-Côte d’Ivoire.
Enthousiasmé par la diversité des milieux naturels (forêts denses, savanes à herbes plus ou moins hautes, prairies de types divers dont celle qui recouvre les parties hautes, brousses arbustives…) et la richesse de la faune, il en entreprit alors une étude approfondie, ce qu’il n’a cessé de faire depuis, le Nimba ayant toujours été une de ses préoccupations prioritaires ; il n’a pas dû se passer de courrier ou de conversation entre nous sans que le Nimba ait été au moins évoqué. Non content de prévoir un inventaire aussi complet que possible de la faune, il a entrepris d’en faire une étude quantitative avec des relevés sur des surfaces précises, au départ avec des essais sur carrés de 10 m de côté, vite abandonnés pour
ceux de 5, 2 ou 1 m, ces derniers avec recherche particulière des fourmis, termites et vers de terre, impossibles à récolter de façon exhaustive sur des surfaces plus grandes. Et il s’est préoccupé aussi d’emblée de la géologie, de la géomorphologie et du climat de cette montagne, laissant toutefois à d’autres le soin de l’étude botanique.
Juste après cette mission qui s’est déroulée de février à juin 1942, il a publié dans la revue Mammalia son premier article sur le Nimba, « La faune mammalogique du mont Nimba » (1), avec 36 espèces citées, et l’année suivante il a passé son Diplôme d’Études supérieures avec comme titre « Premier aperçu sur la faune du Nimba » (2), publications suivies par beaucoup d’autres : j’en ai compté 23 seul et 73 en collaboration avec 27 autres auteurs. C’est en 1946, dans « Un essai de bionomie quantitative » (3), qu’il décrit la méthode qu’il avait mise au point.
Entre temps les invertébrés recueillis étaient préparés à l’ENS ou au Muséum national d’Histoire naturelle, et les spécialistes susceptibles d’étudier les divers groupes d’animaux recueillis ont été sollicités, tandis qu’il pensait bien sûr à retourner sur place continuer les prospections, ce qu’il a pu faire en 1946, puis en 1951, année où je l’ai accompagné, puis en 1956-57 avec deux étudiants de l’Université de Lille où il enseignait à l’époque.
Les résultats zoologiques de ces prospections ont fait l’objet en 1952 d’un premier Mémoire (4) de l’Institut français d’Afrique noire (IFAN) dont dépendaient scientifiquement les parties guinéenne et ivoirienne du Nimba (érigées dans l’intervalle en Réserve naturelle intégrale), puis un deuxième Mémoire (5) est paru en 1954, et un troisième (6) en 1958 : une somme de 1 097 p. Entre temps Maxime Lamotte avait également participé à la rédaction d’un autre Mémoire (7) de l’IFAN, consacré cette fois à la géographie du Nimba, paru en 1955, en collaboration avec Gabriel Rougerie et Roland
Portères, et en associant des notes inédites de Jean-Charles Leclerc et Jacques Richard-Molard, décédés au cours de missions en Afrique. Puis à partir de fin 1958, il y a eu une longue période pendant laquelle la partie guinéenne du Nimba fut inaccessible aux chercheurs. Fidèle à sa vocation africaine, Maxime Lamotte en profita pour créer en 1961 avec Jean-Luc Tournier, qui avait été auparavant le directeur de la Réserve du Nimba, la station écologique de Lamto
(contraction de Lamotte-Tournier) en Côte d’Ivoire, où commencèrent des recherches similaires à celles interrompues en Guinée et avec des développements nouveaux en écologie quantitative. C’est ainsi que l’étude de l’écosystème des savanes préforestières de Lamto deviendra l’un des grands projets du Programme Biologique international.
De plus, en 1963 Maxime Lamotte monta une expédition en Sierra Leone pour des prospections zoologiques au mont Loma, point culminant de la Dorsale guinéenne avec ses 1948 m dans la même zone climatique que le Nimba, en vue de comparaisons avec celui-ci. Deux autres missions suivirent au mont Loma sous son impulsion, en 1964 et en 1965-66, à des périodes différentes de l’année, ce qui était important pour disposer des données nécessaires à la compréhension du cycle saisonnier du peuplement animal.
Dans l’intervalle, un quatrième et dernier Mémoire de l’IFAN relatif à la faune du Nimba (8) a pu sortir de presse en 1963, tandis qu’un Mémoire consacré aux premiers résultats obtenus au Loma (9) a vu le jour en 1971, toujours par les soins de l’IFAN, devenu Institut fondamental d’Afrique noire.
Les relations avec la Guinée ayant retrouvé un cours normal, de nouvelles missions au Nimba reprirent à partir de 1981, presque chaque année, avec encadrement de scientifiques guinéens. C’est ainsi que Maxime Lamotte s’y rendit cette année-là, puis en 1983,1990 et 1991, et qu’il eut la chance d’y retourner une dernière fois en juin 2005, où il fêta sur place son 85e anniversaire.
Parallèlement, Maxime Lamotte avait dirigé l’élaboration d’une importante plaquette de présentation du mont Nimba (10), publiée par l’Unesco à la suite du classement, en 1981, du Nimba comme Réserve de Biosphère et Site du Patrimoine mondial, plaquette publiée en 1998. Cinq ans après, toujours sous son impulsion, c’est un gros Mémoire du Muséum national d’Histoire naturelle (11) qui a pu voir le jour, à nouveau consacré à la zoologie du Nimba, afin de récapituler les connaissances relatives à la faune. Paru en 2003, cet ouvrage n’épuisait pas la question, loin s’en faut, d’où la mise en chantier, aussitôt après, d’un second Mémoire du Muséum pour lequel Maxime Lamotte s’était encore personnellement investi, surtout en ce qui concerne les Amphibiens et les Mammifères (autres que les Chauves-souris), les seuls groupes de Vertébrés non traités dans le premier Mémoire.
La préparation de ce second Mémoire, objet de toutes nos préoccupations, se poursuit actuellement, en hommage au découvreur de la faune du Nimba, marqué définitivement par sa première mission. L’ouvrage doit contenir, outre la fin des Vertébrés, des études particulières relatives à différents groupes bien étudiés d’invertébrés qui n’avaient pas pu trouver place dans le premier Mémoire, une récapitulation de l’état des connaissances pour les autres groupes, et enfin une bibliographie aussi complète que possible de tout ce qui a été publié à propos du Nimba (plus de 900 références pour près
de 500 auteurs), afin que d’autres puissent continuer valablement la tâche entreprise depuis tant d’années. C’est dire l’importance de la mobilisation qu’a entraînée le « jeune savant » parti à l’aventure en 1942, pour que soit connu de façon détaillée ce petit morceau d’Afrique tropicale, exceptionnel patrimoine de l’Humanité.
Références
(1) LAMOTTE, M. (1942).- La faune mammalogique du Mont Nimba (Haute Guinée). Mammalia, 6,
114-119.
(2) LAMOTTE, M. (1943).- Premier aperçu sur la faune du Nimba, D.E.S ; Paris, Jouve, 36 p.
(3) LAMOTTE, M. (1946).- Un essai de bionomie quantitative. Annales des Sciences naturelles Zoologie,
n.s., 8, 196-211.
(4) MONOD, Th. (éd.), préface de Th. MONOD (1952).- La Réserve naturelle intégrale du Mt Nimba,
fascicule I (1952).- Mémoires de l’Institut français d’Afrique noire 19. Dakar, 336 p.
(5) MONOD, Th. (éd.) (1954).- La Réserve naturelle intégrale du Mt Nimba, fascicule II (1954).-
Mémoires de l’Institut français d’Afrique noire 40. Dakar, 403 p.
(6) MONOD, Th. (éd.) (1958).- La Réserve naturelle intégrale du Mt Nimba, fascicule IV (1958).-
Mémoires de l’Institut français d’Afrique noire 53. Dakar, 358 p.
(7) LECLERC, J.-C., RICHARD-MOLARD, J., LAMOTTE, M., ROUGERIE, G. & PORTERE,S R.
(1955).- La Réserve naturelle intégrale du Mt. Nimba, fascicule III. La chaîne du Nimba, essai
géographique. Mémoires de l’Institut français d’Afrique noire 43. Dakar, 271 p.
(8) MONOD, Th. (éd.), avant-propos de M. LAMOTTE & R. ROY (1963).- La Réserve naturelle intégrale
du Mont Nimba, fascicule V (1963).- Mémoires de l’Institut français d’Afrique noire 66.
Dakar, 640 p.
(9) MONOD, Th. (éd.), avant-propos de P. JAEGER, M. LAMOTTE & R. ROY. (1971).- Le massif des
Monts Loma, fascicule I (1971).- Mémoires de l’Institut fondamental d’Afrique noire 86 Dakar,
419 p.
(10) LAMOTTE, M. (sous la direction de) (1998).- Le mont Nimba Réserve de Biosphère et site du patrimoine
mondial (Guinée et Côte d’Ivoire). Initiation à la géomorphologie et à la biogéographie.
Paris, Unesco, 153 p.
(11) LAMOTTE, M. & ROY, R. (coordonné par) (2003).- Le peuplement animal du mont Nimba
(Guinée, Côte d’Ivoire, Liberia). Mémoires du Muséum national d’Histoire naturelle, 190,
727 p.