Gaelle Lahoreau et Patrick Blandin

« Maxime Lamotte ou la modernité d’un grand naturaliste »

« Très grand scientifique », « grand naturaliste » : ces qualificatifs reviennent régulièrement lors d’entretiens avec les chercheurs qui ont côtoyé Maxime Lamotte ou travaillé avec lui.
Passionné tout jeune par les insectes, mais devenu plus tard un spécialiste des batraciens africains – suite à la découverte d’un crapaud vivipare qui s’est révélé être un passionnant modèle pour des études de physiologie –, géographe, climatologue et géologue par moments, Maxime Lamotte fut surtout un généticien des populations et un écologue. Ceci à une époque où la théorie synthétique de l’évolution aussi bien que l’écologie peinaient à s’implanter en France.
Soutenue en 1951, sa thèse sur le polymorphisme des populations naturelles de l’escargot des bois fit grand bruit au plan international. Mais Maxime Lamotte était déjà le premier français à avoir lancé, dès 1942, sur les hauteurs des monts Nimba en Guinée, l’étude quantitative d’une communauté animale terrestre. Démarche qu’il transforma, en 1962, en l’étude d’un écosystème dans son ensemble : la savane préforestière de Lamto en Côte-d’Ivoire. Il se plaçait ainsi à l’avant-garde d’une écologie française, encore timide, et s’intégrait pleinement dans la dynamique internationale.
Esprit ouvert, curieux, insatiable, polyvalent mais aussi obstiné, Maxime Lamotte a fait du laboratoire de zoologie de l’École normale, qu’il dirigea de 1956 à 1987, l’un des plus grands, sinon le plus grand de France. Et sans doute le plus diversifié. Maxime Lamotte marqua ainsi profondément la vie scientifique de l’École et contribua à son rayonnement national et international.
Évoquer les grands héritages scientifiques de Maxime Lamotte tant en génétique des populations qu’en écologie, c’est non seulement lui rendre hommage, mais c’est aussi illustrer la fécondité d’une démarche de naturaliste avide d’analyser la nature dans sa diversité, et plus encore d’en comprendre l’organisation, le fonctionnement et l’évolution.

1. Maxime Lamotte, un début de carrière remarqué dans une jeune discipline, la génétique des populations

Alors qu’il avait ramené du Mont Nimba, en Guinée, des kilos de spécimens à étudier, découvert le Nectophrynoides occidentalis – son fameux crapaud vivipare – et que ses recherches semblaient le diriger vers la systématique, la physiologie ou l’écologie, Maxime Lamotte choisit de réaliser sa thèse d’État dans une discipline en naissance en France : la génétique des populations. Une thèse qu’il soutient en 1951 et qui allait faire grand bruit, jusqu’outre-Atlantique.

La génétique, une discipline en naissance au sortir de la guerre

Lorsque Maxime Lamotte commence sa thèse en 1943-44, « la génétique des populations n’existait pas trop à l’époque ». En fait, jusqu’en 1945, ce n’est pas uniquement la génétique des populations, mais toute la génétique, qui est absente de la recherche et de l’enseignement français (Burian & Gayon, 1990). Pour preuve, la première chaire de génétique n’est créée à la Sorbonne qu’en 1946 – plus de 30 ans après celle des États-Unis – avec l’opposition des chercheurs du département de biologie (Gayon & Burian, 2004).
Dès le début du XXe siècle, la génétique s’est pourtant développée aux États-Unis et en Europe (Angleterre, Allemagne, Russie, pays scandinaves), suite notamment aux travaux de Gregor Mendel sur les petits pois (1866) (Gayon & Burian, 2004). En France, elle ne se développa vraiment qu’à partir des années 1930 grâce aux travaux de trois biologistes : Boris Ephrussi (1901-1979), Philippe L’Héritier (1906-1994) et Georges Teissier (1900-1972). Georges Teissier et Philippe L’Héritier furent notamment à l’origine des premières recherches expérimentales au monde en génétique des populations. Jusqu’à alors la génétique évolutive était principalement le fait de théoriciens. Leurs travaux expérimentaux furent menés sur des « cages à populations » à drosophiles au sein de l’ENS.
Slatkin & Veuille (2002) soulignent l’importance que l’ENS, « lieu particulier et privilégié du système de recherche et d’enseignement français », a joué dans l’instigation des recherches de Georges Teissier et de Philippe L’Héritier, les protégeant de l’hostilité de beaucoup de biologistes français envers le darwinisme et leur fournissant de jeunes étudiants enthousiasmés pour cette nouvelle discipline, comme Maxime Lamotte.
Comme l’écrira Maxime Lamotte, dans un article à la mémoire de Georges
Teissier : « Les études consacrées au polymorphisme sont restées longtemps relativement limitées, [et où] toutes, ou presque, sont nées de l’impulsion donnée par Georges Teissier qui en avait reconnu l’intérêt fondamental pour la compréhension des mécanismes de l’évolution » (Lamotte, 1974, cité
dans Givernaud).
Au cours de ses études à l’École normale, Maxime Lamotte côtoie Georges
Teissier, qui « remplaçait Robert Levy, qui, étant juif, avait dû partir se camoufler » au poste de directeur du laboratoire de zoologie. Maxime Lamotte semble vouer une certaine admiration pour ce professeur, dont il avait trouvé les cours « très bons ».
Georges Teissier remarque lui aussi Maxime Lamotte : « Lorsque j’ai constaté que Lamotte était un vrai ‘’naturaliste de terrain’’ (…), qu’il avait des aptitudes pour la recherche quantitative et le goût pour la statistique, je lui ai, tout naturellement, donné un sujet de thèse portant sur la génétique des populations naturelles », écrit-il en 1965 dans une lettre adressée à M. Hervé, directeur scientifique de l’ENS.
Il est probable que ce soit cette admiration ainsi que les encouragements de
Georges Teissier, qui ont persuadé Maxime Lamotte de poursuivre un doctorat en génétique des populations. Alors que comme il le dit dans ses entretiens : « Grassé et Hourdry auraient préféré que je fasse ma thèse sur le Necto », et qu’il n’avait pas encore à cette époque de goût particulier pour la génétique des populations.
Georges Teissier laisse à Maxime Lamotte une grande liberté dans la réalisation de sa thèse, ne le guidant que très peu (Burian & Gayon, 1990). Pour Gayon & Burian (2004), « Maxime Lamotte sera le premier et le plus brillant de ses étudiants ».

Une thèse remarquée jusqu’outre-Atlantique

Contrairement aux recherches expérimentales de Georges Teissier et Philippe
L’Héritier, celles de Maxime Lamotte portent sur les populations dans leur milieu naturel, la première du genre en France. Son sujet d’étude : les escargots des bois, Cepaea nemoralis.
Ces gastéropodes ont l’avantage d’être distribués sur le terrain en petites colonies partiellement isolées et d’être répandus dans toute la France, autant en zone libre qu’en zone occupée (Gayon, 1998, cité dans Millstein, 2007). Une considération d’importance puisque Maxime Lamotte commence à ramasser les escargots en 1943-44, dans le midi de la France où il s’est camouflé avec sa mère, évitant ainsi de faire le service du travail obligatoire (STO).
Comme le souligne Yvette Dattée, ancienne élève et collaboratrice de
Maxime Lamotte : « il fallait oser se lancer dans une telle étude car la méthodologie n’existait pas. Elle était à inventer. Heureusement, Maxime Lamotte avait une intuition scientifique extraordinaire, comme par exemple celle de remonter une vallée dans les Pyrénées avec dans l’idée d’y trouver des populations isolées. »
Au total, Maxime Lamotte étudie plus de 1 100 populations, caractérisées par des tailles diverses, mais surtout par une grande variation dans les caractéristiques des coquilles. Certaines populations présentaient notamment des coquilles avec des bandes, d’autres sans bandes. Restait alors à déterminer les facteurs d’évolution pouvant expliquer ce polymorphisme entre les différentes populations.
Afin d’interpréter ses observations, Maxime Lamotte travaille avec Gustave
Malécot
, mathématicien qui a consacré une part importante de ses recherches
à des problèmes mathématiques et statistiques liés à la biologie. Cette collaboration fut à l’origine de grands progrès en calculs de probabilités appliquées à la génétique évolutive. Gustave Malécot (1911-1998) est d’ailleurs aujourd’hui considéré comme un des pères de la génétique des populations, au côté de Sewall Wright, Ronald Fisher et John Haldane (Epperson, 1999 ; Gillois, 1999 ; Slatkin & Veuille, 2002).
Maxime Lamotte (1999) le reconnaît d’ailleurs lui-même : « Malécot est resté trop longtemps insuffisamment connu et apprécié en France, où il travaillait dans un domaine dont les spécialistes sont rares. Ses recherches attirèrent en revanche l’attention de plusieurs généticiens célèbres aux États-Unis qui n’ont pas cessé de lui rendre hommage. Sa notoriété à l’étranger a été considérable et s’est accrue au cours des années ».
Car, c’était une autre qualité de Maxime Lamotte, celle de réunir les expérimentateurs et les modélisateurs. « Même si Maxime Lamotte disait qu’il n’aimait pas les maths, il n’hésitait pas à aller travailler avec des mathématiciens pour ses recherches, et plus tard pour ses enseignements » précise Yvette Dattée.
Ramassage des escargots des bois (fonds Lamotte)
En 1951, Maxime Lamotte soutient sa thèse d’État, il est alors âgé de 31 ans.
Comme l’écrit Michel Veuille, directeur du département systématique et évolution du Muséum national d’histoire naturelle: « La thèse de Maxime Lamotte fit date dans l’histoire de la génétique évolutive du XXe siècle. Le premier, il fit le recensement systématique de fréquences alléliques dans de nombreuses populations, pour vérifier les modèles théoriques de l’évolution
darwinienne dûs à Sewall Wright. Son étude sera aussi la première d’une très longue série, encore très prolifique, de travaux de ‘’génétique écologique’’ visant à comprendre l’histoire récente des espèces d’après les profils de distribution géographique de la variation.
»
Parlant de la thèse de Maxime Lamotte, Provine (1986) la qualifia « d’étude monumentale ». Millstein (2007) va même jusqu’à considérer que : « l’étude de Maxime Lamotte sur les escargots est parmi les meilleures, sinon la meilleure, des premières tentatives visant à démontrer la dérive et la sélection dans les populations naturelles ». Le jeu de données recueilli par Maxime Lamotte est en effet impressionnant (Veuille, 2000).
En 1959, Maxime Lamotte présente ses recherches au 24e symposium de biologie quantitative tenu à Cold Spring Harbor (États-Unis), organisé en l’honneur du 100eanniversaire de la publication du livre de Charles Darwin L’origine des espèces. Son exposé en sera le point fort et déclenchera « la première grande polémique scientifique sur le rôle respectif du hasard et de la sélection naturelle dans l’évolution » comme le souligne Michel Veuille.
Les conclusions de Maxime Lamotte s’opposaient alors à celles de deux chercheurs anglais (Arthur Cain et Philip Sheppard) qui étudiaient également le polymorphisme de couleur et de bandes des escargots des bois. Le débat animé qui s’en suivit fut surnommé « The Great Snail Debate » par Provine (1986).

Enseignements en génétique

Après quelques années d’enseignement à la chaire de zoologie générale et appliquée de Lille (1953-1957), Maxime Lamotte se présente sur les conseils de George Teissier au poste de professeur de zoologie à l’ENS, laissé vacant par le décès du professeur Robert Levy. Il y est nommé en 1956.
En 1960, il crée avec Georges Teissier, qui en prend la responsabilité, et en étroite concertation avec des spécialistes de génétique appliquée animale, végétale et humaine (notamment Jacques Poly, alors chef du département de génétique animale de l’INRA), l’option « Génétique quantitative et génétique appliquée » du certificat de troisième cycle de génétique approfondie. Il invite à y enseigner son camarade de promotion et ami Guy Lefort, professeur de mathématiques à l’Institut national agronomique. Il confie à Jean Génermont, qui a réalisé sa thèse sous sa direction, une grande part de la coordination des enseignements et des relations avec les chercheurs de l’INRA.
En 1965, lors de la transformation du certificat en DEA, Maxime Lamotte
devient responsable de la formation. Celle-ci accueille bon nombre de normaliens scientifiques, par exemple Jean Coursol (1963), Yvette Dattée (1963), André Langaney (1963), Bernard Chevassus-au-Louis (1968), Jean-Marie Cornuet (1969), Gilles Pison (1971), Jacqueline Vu Tiên-Kang (1971), François Bonhomme (1973).
Elle a constitué un vivier dans lequel l’INRA a recruté nombre de chercheurs, en
génétique animale principalement et en amélioration des plantes.
Jean Génermont se rappelle : « c’était un enseignant remarquable, un brillant conférencier et ses textes écrits étaient admirables d’élégance et de clarté. Il a contribué de manière très significative à la formation de nombres de biologistes, zoologistes, généticiens et écologistes notamment ».
« C’était un directeur très disponible et ouvert. Il imprégnait ses élèves et collaborateurs de sa façon de penser. Sa rigueur était exceptionnelle, tout comme son français !
» ajoute Yvette Dattée.

Arrêt des responsabilités, mais pas des recherches

À la fin des années 70, Maxime Lamotte se désengage de ses responsabilités dans
l’enseignement de la génétique des populations, au profit de l’écologie. À partir de cette époque, le ministère interdit en effet à un professeur de diriger deux DEA. Ce qui était le cas de Maxime Lamotte.
Les recherches menées à la station d’écologie de Lamto en Côte-d’Ivoire lui prennent en outre de plus en plus de temps et d’énergie : « En 1961, je me suis trouvé embrigadé dans Lamto.  Je suis alors devenu de plus en plus écologiste et de moins en moins généticien des populations ».
Mais ce retrait de l’enseignement n’empêcha pas Maxime Lamotte de continuer àdiriger des recherches dans ce domaine. Il n’hésitera pas non plus à employer des outils modernes, comme des marqueurs enzymatiques pour étudier le polymorphisme chez les escargots des bois, dans le cadre de la thèse de Marta Valdez, soutenue en 1986 et co-encadrée par René Lafont, biochimiste au laboratoire de zoologie.
Tout au long de sa vie, Maxime Lamotte aura en fait gardé un oeil sur la génétique.
À 74 ans, il publie chez Hachette le livre Théorie actuelle de l’évolution. Génétique évolutive et écologie (1994), deux domaines de recherches à ses yeux intimement liés.

2. Maxime Lamotte, pionnier des études écosystémiques françaises

1942. Âgé de 21 ans, Maxime Lamotte réalise au mont Nimba en Guinée ses premiers relevés quantitatifs de faune. La récolte est faramineuse. Mais surtout la méthode, inédite pour les communautés animales, s’avère prometteuse. Appliquée à l’ensemble des compartiments de la savane de Lamto (Côte-d’Ivoire), elle permettra de réaliser une étude quantitative d’écosystème d’une ampleur inégalée et placera les recherches françaises en écologie sur le devant de la scène internationale. Et ce à une époque où l’écologie commençait seulement à se structurer dans notre pays.
C’est cette histoire que nous présentons, non seulement parce que c’est l’histoire
d’une exceptionnelle aventure scientifique, mais aussi parce que c’est celle d’un
homme animé par des intuitions fortes, qui le conduiront à jouer un rôle majeur dans le développement de l’écologie française, notamment avec la création d’un enseignement de troisième cycle qui, pendant plus de 20 ans, attirera de nombreux étudiants français et étrangers au laboratoire de zoologie de l’École normale supérieure.

Premiers relevés quantitatifs au mont Nimba


Alors qu’il est élève de troisième année à l’ENS, Maxime Lamotte est choisi comme l’un des six « jeunes savants » que la Ligue maritime et coloniale réunit pour une mission de prospection de la faune en Afrique occidentale française. Maxime Lamotte est alors un entomologiste amateur connu au Muséum national d’histoire naturelle. Sa passion pour les insectes, notamment les coléoptères dont il fait la collection depuis ses 10 ans, a joué dans sa sélection. En effet, sa candidature a été soutenue par le professeur René Jeannel, directeur du laboratoire d’entomologie du Muséum.
Le 1er décembre 1941, Maxime Lamotte et les cinq autres « jeunes savants » embarquent à Marseille sur le paquebot Savoie. À leur arrivée à Dakar, ils sont accueillis par Théodore Monod, professeur du Muséum et directeur de l’Institut français d’Afrique noire (IFAN). C’est lui qui a choisi les deux sites d’étude : le mont Nimba (Guinée) et le Fouta-Djalon (Mali). Jean-Charles Leclerc, le géographe, Robert Schnell, le botaniste et Maxime Lamotte, le zoologue sont affecté à l’étude du mont Nimba. Ils y arrivent en février 1942.
Maxime Lamotte est vite enthousiasmé par les milieux naturels et la faune qu’il y découvre. Il a l’idée géniale de faire ramasser les animaux par des manoeuvres : une journée de travail ne coûtait que 3 francs 50 par homme, et il avait de l’argent. Comme il le disait lui-même, ces six mois passés au Nimba s’en trouvèrent multipliés par dix. Il avait imaginé une méthode de récolte quantitative en s’inspirant des travaux de biogéographie de Maximilien Sorre, d’Auguste Chevalier, un africaniste, et de Lucien Cuénot, qui l’avaient convaincu de l’intérêt d’étudier des « groupements », ensembles des êtres vivants présents dans un milieu donné. Mais jusqu’alors, on étudiait surtout les groupements de végétaux. Maxime Lamotte décida qu’il fallait aussi étudier les groupements animaux, en les mesurant quantitativement.
En transposant à une plus petite échelle les concepts de la biogéographie et de l’étude des associations végétales, son objectif dépasse ainsi le simple inventaire naturaliste. Il est en effet nécessaire de comprendre l’évolution d’un milieu à partir de la composition de sa faune, en étudiant ses variations dans le temps et surtout dans l’espace, en particulier sous l’influence des activités humaines (Lamotte, 1946).
En effet, Maxime Lamotte considérait les transformations dues aux hommes comme un phénomène évolutif majeur, et il avait réalisé des relevés dans des milieux diversement modifiés pour les comparer aux milieux « primaires ».
Méthode inédite pour les communautés animales, les « relevés quantitatifs » permettent à Maxime Lamotte de rapporter au Muséum plusieurs milliers d’échantillons. De nombreuses espèces nouvelles sont progressivement identifiées. Parmi elles, un modeste crapaud, Nectophrynoides occidentalis. Étonnante découverte, première mondiale, un batracien vivipare : cette espèce donne naissance directement à des petits crapauds, au lieu de pondre des oeufs donnant des têtards aquatiques. De nombreuses recherches, notamment de physiologie, suivront cette découverte, qui fit aussi la réputation de Maxime Lamotte.
En 1946, Maxime Lamotte retourne au Nimba et publie « Un essai de bionomie
quantitative » où il décrit en détail son innovation méthodologique des « relevés
quantitatifs ». Il en souligne l’intérêt, dans une perspective plus évolutionniste
qu’écologique : « Cette étude des équilibres des populations et de leurs modifications constitue la meilleure voie pour faire progresser de façon sûre nos connaissances sur les mécanismes de la sélection naturelle ; elle représente donc un moyen rationnel d’aborder de façon expérimentale le problème
grandiose de l’évolution des espèces, qui se ramène en fait à celui de l’évolution des populations animales.
»
L’intérêt faunistique de la méthode est confirmé par les missions suivantes, en
1951-52 avec Roger Roy et 1956 avec deux étudiants zoologistes. Sur place,
les recherches sont facilitées par Jean-Luc Tournier, directeur du centre local
d’Abidjan de l’IFAN, qui construit en 1946 une base-laboratoire permanente au pied du mont Nimba. Mais en 1958, l’arrivée de Sekou Touré au pouvoir en Guinée donne le coup d’arrêt aux recherches. Comme le dit si bien Roger Roy, Lamotte devient alors « nimbalgique ». Il le restera toute sa vie. De fait, en 2003, avec Roger Roy, il dirige la publication, aux mémoires du Muséum national d’histoire naturelle, d’un ouvrage collectif de plus de 700 pages, intitulé Le peuplement animal du mont Nimba (Guinée, Côte-d’Ivoire, Liberia), auquel doit faire suite un deuxième ouvrage sur lequel il travaillait encore peu avant sa disparition.

Du Nimba à Lamto

Désireux de continuer les recherches menées au mont Nimba, Maxime Lamotte
va rechercher en Côte-d’Ivoire, pays voisin de la Guinée et plus stable politiquement, un nouveau site d’étude. En août 1961, il parcourt avec Jean-Luc Tournier la Côte-d’Ivoire en quête d’un milieu similaire au Nimba. « .J’avais des idées fausses, je pensais que plus on va vers le sec [c’est-àdire vers le Nord], plus on a des savanes. En fait, il y a la forêt, puis la savane pré-forestière, puis des savanes boisées, avec des arbres plus grands. Je désespérais de trouver une savane correcte où donner la priorité aux animaux. Un jour, on était à l’hôtel, on rendait visite à un planteur près du Bandama [un des principaux fleuves de Côte-d’Ivoire]. Il nous dit : « Ah ! vous cherchez une savane, j’en connais une, je vais souvent chasser là-bas ». On arrive au bout de la route. Il y avait des palmiers rôniers, des herbes et au bout, un amas de gros rochers. On a été séduits »
L’installation de la station est d’abord négociée avec les chefs coutumiers des villages voisins. Elle reçoit rapidement le haut patronage du président Félix Houphouët Boigny (lettre du 27 novembre 1961), après un échange de courrier entre le directeur de l’ENS, Jean Hyppolite (lettre du 6 octobre 1961) et la présidence de la République de Côte-d’Ivoire, par l’intermédiaire de l’ambassade de France. Jean-Luc Tournier crée alors l’appellation Lamto, pour LAMotte et TOurnier.
Pour accueillir les premiers chercheurs, Maxime Lamotte envisage de faire
construire des cases en torchis couvertes de chaume. Jean-Luc Tournier suggère à Maxime Lamotte d’acheter une maison en bois sur pilotis à la Compagnie des scieries africaines. Restait à trouver le financement. « Par un hasard extraordinaire, l’argent nécessaire tomba du ciel peu après sous forme d’un ‘crédit mobilier’ qui échut au laboratoire de zoologie de l’ENS » (Lamotte 1974). Le 22 décembre 1961, le montage du bâtiment, dit SCAF1, peut débuter.

Structure et fonctionnement d’un écosystème de savane

Le 27 décembre 1961, Maxime Lamotte arrive à Lamto avec ses deux premiers
étudiants, Yves et Dominique Gillon, couple de jeunes entomologistes, élèves de
l’ORSTOM (actuellement IRD). Le 16 janvier 1962, deux autres étudiants les rejoignent : Marcel Vaillaud et Roger Vuattoux (élève au certificat de zoologie). Alors que les Gillon adaptent la technique des relevés quantitatifs aux invertébrés vivant au-dessus du sol, Maxime Lamotte confie à Marcel Vaillaud l’échantillonnage des vers de terre et à Roger Vuattoux l’étude du peuplement du palmier rônier.
Construction du bâtiment SCAF 1 (fonds Gillon)
Au moment des premiers relevés quantitatifs de janvier 1962, les recherches sont prévues pour durer « une ou deux années » (Lachenal, 2005). Mais la complexité de la savane est largement sous estimée : de nombreuses espèces,
notamment d’invertébrés, sont difficiles à déterminer, les communautés d’espèces apparaissent très différentes entre les zones herbeuses et les zones
arborées de la savane. Les feux de brousse annuels compliquent également les études. Maxime Lamotte recrute alors de nouveaux étudiants et leur confie l’étude d’une nouvelle « boîte » de la savane (Lachenal, 2005). Pour Robert Barbault, ce seront les lézards, pour Patrick Lavelle, les vers de terre. Bientôt, Jean César héritera du compartiment des herbes et Jean-Claude Menaut de celui des arbres. Ce sont en effet tous les compartiments de l’écosystème de la savane, et non plus de la seule faune, que Maxime Lamotte veut quantifier. L’analyse du cycle du carbone et de l’azote fut également entreprise. « Il s’agissait d’appréhender de façon quantitative la structure, tant spécifique que spatiale et temporelle, et le fonctionnement (réseaux trophiques et transferts de matière et d’énergie) de ces biocénoses herbacées » (Lamotte 1974). Alors que chaque chercheur avait à sa charge l’étude du bilan énergétique d’une « boîte » (ensemble végétal ou groupe animal), Maxime Lamotte se réservait de les relier entre elles afin d’établir le bilan d’énergie global de l’écosystème.
Les recherches menées à Lamto se placent alors dans l’esprit des travaux des chercheurs américains, Raymond Lindemann (1942) et Eugène Odum (1953), qui prônent l’étude des « relations trophiques » et des « flux de matière et d’énergie » qui structurent les « écosystèmes » (Lachenal, 2005).
En témoigne l’article que
Un exemple de relevé quantitatif (fonds Gillon). Maxime Lamotte publie en 1962 avec son ami François
Bourlière, sous le titre « Les
concepts fondamentaux de la synécologie quantitative
». Sans encore employer le terme « écosystème », Maxime Lamotte fait sienne la conception « énergétique » de l’écologie nord-américaine, qui vise à établir la productivité des écosystèmes. Ses recherches vont alors bien au-delà du programme
de bionomie quantitative de 1946, qui se limitait à une description des peuplements animaux en termes d’effectifs et de biomasses (Lachenal, 2005).
À Lamto, Maxime Lamotte laisse une grande liberté à ses étudiants. La seule
consigne est de « faire du quantitatif ». Aux inquiets, il répond souvent : « Vous irez sur place, vous verrez bien ! » Chacun développe alors, avec plus ou moins de succès, des méthodes de mesures et de piégeages adaptées à sa « boîte ». Un relevé de 100 m2 ne nécessitait pas moins de 24 manoeuvres, tout comme les carrés d’un quart d’hectare débroussés à la machette pour les rongeurs et les reptiles. Roger Vuattoux se rappelle : « Certains jours, l’appel de 7h regroupait plus de 30 employés ». Comme le souligne Guillaume Lachenal (2005), une telle étude quantitative, à l’échelle d’un écosystème, n’aurait jamais pu se développer en France.
Prolongement organique du laboratoire de zoologie de l’ENS, des centaines de
kilos de prélèvements et de matériel vont transiter entre la rue d’Ulm et Lamto. Près de 40 thèses – dont une vingtaine d’État ou d’universités – relatives à l’écologie de la savane de Lamto seront soutenues avant 1975, et d’autres encore jusqu’au début des années 80. De 1962 à 1974, les séjours des résidents à Lamto ont représenté plus de 1 000 mois, auquel il faut y joindre « les milliers de mois de travail des collaborateurs techniques, qui ont, sur le terrain comme au laboratoire, démultiplié les efforts des scientifiques » (Lamotte, 1974). Un journal, le Bulletin de liaison des chercheurs de Lamto, sera même édité par le laboratoire de zoologie de l’ENS entre 1968 et 1977.
Pendant près de 15 ans, le laboratoire de zoologie, mais aussi le CNRS, financeront les recherches menées à Lamto. Elles bénéfieront également du soutien du Programme biologique international (PBI), de l’International Council of Scientific Unions (ICSU), via son Comité français, présidé par François Bourlière. Lancé en 1964, ce programme encourage et coordonne l’étude quantitative des différents écosystèmes du monde. En lançant des recherches quantitatives sur le mont Nimba et en engageant dans le même esprit le projet de Lamto, Maxime Lamotte avait anticipé le tournant pris par l’écologie mondiale. Pour preuve, un colloque du PBI réunissant les spécialistes mondiaux de l’écologie des milieux herbacés est organisé à la station en 1971. Cependant, Maxime Lamotte ne publiera que très peu en anglais, se limitant à deux synthèses dans des ouvrages collectifs internationaux (1975 et 1979) ce
qui a peut-être limité l’impact de son oeuvre.
En 1974, le PBI s’arrête. En 1976, au sein du laboratoire de zoologie de l’ENS, les
équipes d’écologie forment le laboratoire associé CNRS n° 258. En même temps, le CNRS, l’ENS et l’ORSTOM arrêtent tous les financements récurrents et directs. L’université d’Abidjan devient la seule institution officiellement en charge de la station. Elle lui dédie un financement régulier et lui affecte des techniciens. La station continue alors à accueillir des étudiants et chercheurs venant de rue d’Ulm, mais sans les inclure dans un projet collectif d’envergure comme le fut l’étude quantitative dirigée par Maxime Lamotte dans l’esprit du PBI (Lachenal, 2004).

Structuration de la recherche et de l’enseignement en France

Comme la génétique évolutive, l’écologie n’est devenue que tardivement une discipline à part entière en France. Selon le témoignage de François Ramade, professeur d’écologie à Orsay : « L’enseignement de l’écologie s’est développé beaucoup plus tard dans notre pays que dans les pays anglo-saxons : aux États-Unis, la première chaire d’écologie a été créée vers 1903-1905, en Grande-Bretagne le premier enseignement est celui d’Elton à Oxford en 1920 (…). La situation française est tout à fait différente puisque la première chaire d’écologie fut créée au Muséum en 1956 (chaire d’écologie et de protection de la nature), à l’Université au sens strict, le premier certificat d’écologie fut créé par le professeur Lemée en 1962 à Orsay (C4 d’écologie), à peu près à la même époque le professeur Grassé créait le DEA d’écologie, vers 1963-1964, dont
le professeur Lamotte assurera la direction. L’enseignement d’écologie en France fut donc reconnu en tant que tel dans les années 1960 et il faudra attendre le début des années 1970 pour que des postes soient créés dans l’université
».
En 1968, la Société française d’écologie est fondée. En 1976, le CNRS crée une
section d’écologie. Maxime Lamotte en devient le président, ce qui témoigne de la reconnaissance de son rôle « structurant » par la communauté scientifique française.
Premier directeur du DEA d’écologie à l’université de Paris, Maxime Lamotte
s’entoure d’un professeur associé italien, Cesare Francesco Sacchi, et d’enseignants sur postes universitaires : Pierre Aguesse, qui deviendra professeur en province, Jean Lévieux, qui sera professeur à l’université d’Abidjan puis à celle d’Orléans, Paul Testard, qui restera au laboratoire et y développera les recherches en écologie des eaux continentales. Les premières années, l’enseignement était organisé dans les locaux du laboratoire de zoologie de l’ENS, rue Lhomond, au sous-sol. Il fait intervenir dès le début des personnalités importantes : François Bourlière (écologie animale),
Jean Dorst (écologie animale), Jacques Pochon (microbiologiste de l’Institut
Pasteur), Jacques Daget (méthodes mathématiques), Jean-René Le Berre (entomologiste à Orsay). Plus ponctuellement, Pierre-Paul Grassé intervient sur les insectes sociaux, Georges Lemée sur l’écologie végétale. Parallèlement, Maxime Lamotte organise, avec l’aide de Jean Levieux et de Paul Testard, des séminaires nationaux d’écologie, qui se démarquent, par leur approche générale, des séminaires plus phytoécologiques de Toulouse ou de Montpellier. Certains de ces séminaires seront à l’origine d’ouvrages collectifs, édités avec François Bourlière sous le titre général Problèmes d’écologie, qui ont joué un rôle réellement fondateur : « Problèmes de productivité biologique » en 1967, « L’échantillonnage des peuplements animaux des milieux terrestres » en 1969, « L’échantillonnage des peuplements animaux des milieux aquatiques » en 1971,
« La démographie des populations de Vertébrés » en 1975. Parallèlement, Cesare F. Sacchi et Paul Testard publiaient en 1971 le premier ouvrage
moderne d’autoécologie en langue française, Écologie animale, organismes et milieu.
Plus tard, la collection Problèmes d’écologie s’enrichit de deux nouveaux titres, toujours coordonnés par Maxime Lamotte et François Bourlière, consacrés aux résultats des contributions françaises au Programme biologique international, le premier traitant des écosystèmes terrestres (1978), le second des écosytèmes aquatiques (1983). En 1984, Maxime Lamotte publiait encore un ouvrage collectif, intitulé Fondements rationnels de l’aménagement d’un territoire, lié à un enseignement dont il avait été l’un des fondateurs, en 1970, avec des collègues de Toulouse et de Montpellier. Il s’agissait d’une formation interdisciplinaire coordonnée par la Commission française pour l’UNESCO, destinée à la formation de cadres de pays en développement.
Si Maxime Lamotte fut l’initiateur et le coordinateur, seul ou en collaboration, de nombreux ouvrages collectifs, il n’écrivit que peu d’ouvrages personnels. L’un d’entre eux allait cependant marquer des générations d’étudiants. Publié en 1957 chez Masson & Cie, Initiation aux méthodes statistiques en biologie connaîtra un grand succès, avec trois rééditions (1962, 1967, 1971), certaines donnant lieu à plus d’un tirage. Ce manuel a longtemps comblé une lacune criante et a permis à de nombreux étudiants et chercheurs d’acquérir un indispensable bagage en statistiques appliquées à la biologie. Dans son introduction, Maxime Lamotte écrit qu’en biologie « on ne saurait se
contenter de simples descriptions qualitatives et d’opinions subjectives : un phénomène que l’on n’appréhende pas de façon quantitative ne saurait être considéré comme connu et il faut partout des données précises et concrètes, parfaitement définies, c’est-à-dire des données numériques ».
Telle était la conviction de l’initiateur de la « bionomie quantitative », explorateur du mont Nimba qui, parallèlement, dénombrait les phénotypes dans des centaines de populations de l’escargot des bois. Il allait en résulter aussi bien un regard nouveau sur les mécanismes de l’évolution des populations naturelles, avec la mise en évidence de l’importance des phénomènes fortuits, que le développement de l’écologie quantitative et systémique. Cette conviction allait donner naissance aux DEA de génétique quantitative et d’écologie. S’associant aux enseignements des scientifiques d’horizons divers, ces formations ont créé une dynamique qui ne cesse de s’étendre par l’essaimage des disciples de Maxime Lamotte et de leurs élèves dans de multiples universités et organismes de recherche, en France et à l’étranger.

3. MAXIME LAMOTTE, ses héritages scientifiques

Directeur du laboratoire de zoologie de l’ENS pendant 30 ans (1956-1987),
Maxime Lamotte y rassembla des généticiens des populations, des écologues, des physiologistes, des biochimistes, travaillant sur de multiples « modèles », pas toujours zoologiques.Maxime Lamotte dans son bureau (fonds Lamotte)
La station d’écologie de Lamto (Côte-d’Ivoire) en fut comme le prolongement
naturel, son « bourgeon » tropical ; la station biologique de Foljuif une antenne bien plus modeste, mais qui prend aujourd’hui toute son ampleur.
Sa « conception » de la zoologie n’était pas seulement celle d’un naturaliste curieux de tout ; il en avait une vision ouverte, prospective. En témoigne ce passage de sa notice de titres et travaux scientifiques, rédigée en 1956 en vue de sa candidature au poste de professeur à l’École normale : « un séjour de sept mois en pleine brousse me mit en présence d’une nature prodigieusement riche, au milieu de laquelle je pus collecter avec passion des échantillons des groupes
zoologiques les plus divers. Ce premier contact devait laisser en moi, avec la nostalgie des paysages africains, un goût plus marqué encore pour la zoologie de terrain, sous ses deux aspects essentiels, et d’ailleurs complémentaires : la biologie des populations animales et les problèmes écologiques
».
Génétique évolutive et écologie. C’est au croisement de ces deux champs de
recherche que se situe dès le début l’interrogation scientifique majeure de Maxime Lamotte, celle d’un naturaliste devenant à la fois écologue et généticien des populations, et qui donne un rôle majeur au dénombrement, à la quantification. Dans l’introduction de son petit livre Initiation aux méthodes statistiques en Biologie, il n’hésitera pas à écrire : « un phénomène que l’on n’appréhende pas de façon quantitative ne saurait être considéré comme connu et il faut partout des données précises et concrètes, parfaitement définies, c’est-à-dire des données numériques ».
En fait, dès 1946, dans son Essai de Bionomie quantitative, après avoir argumenté sur l’intérêt des relevés quantitatifs pour étudier les équilibres des populations et leurs modifications, il soulignait que c’est là « la meilleure voie pour faire progresser de façon sûre nos connaissances sur les mécanismes de la sélection naturelle ; elle représente donc un moyen rationnel d’aborder de façon expérimentale le problème grandiose de l’évolution des espèces (…) ».
Au travers des enseignements qu’il a organisé en génétique quantitative et en écologie, au travers des recherches qu’il a animées, des voies qu’il a ouvertes à tant et tant d’élèves, Maxime Lamotte a été un savant particulièrement fécond. Alors que la biologie moléculaire venait sur le devant de la scène, et que les disciplines naturalistes étaient rangées dans les « placards à vieilleries », la zoologie maintenue par Maxime Lamotte a joué un rôle essentiel : évolutionniste, elle a contribué à l’enracinement, en France, de la théorie synthétique de l’évolution ; écologique, elle a contribué fortement au développement d’une approche systémique des milieux naturels.
Aujourd’hui, les interrogations sur le devenir de la biodiversité se retrouvent au
carrefour de la biologie évolutive et de l’écologie. Alors que l’on se complait, dans une ambiance de catastrophisme, à parler de la « sixième crise de la biodiversité », il serait bon de s’inspirer de la vision de Maxime Lamotte, qui invite à se placer dans une perspective dynamique. En 1994, au terme de l’un de ses rares ouvrages personnels, Théorie actuelle de l’évolution, il écrivait en effet : « La diversité des nombreux milieux répandus sur la surface de la Terre, l’isolement plus ou moins complet – temporaire ou non – des divers territoires, la variation au cours du temps de toutes ces caractéristiques expliquent ainsi la
prodigieuse variété des espèces et des biocénoses qui peuplent notre globe à une époque donnée et leur renouvellement continuel depuis qu’existent des êtres vivants
».
C’est au mont Nimba, en Guinée, que Maxime Lamotte comprit que l’homme
était devenu un facteur majeur de l’évolution, comme le souligne cet écrit de 1956 : « Il est incontestable que l’occupation progressive par l’homme de toute la superficie d’une région, telle qu’elle se produit actuellement sous nos yeux avec une rapidité sans pareille, doit amener de profondes modifications de la faune ». Ces transformations lui apparurent comme « un aspect essentiel, et jusqu’ici négligé, des phénomènes évolutifs ». À ses yeux, elles constituaient « le
‘’phénomène’’ actuel
» qui correspond le plus à l’aspect de l’évolution qu’étudient les paléontologistes, car le rôle joué aujourd’hui par l’homme a pu l’être autrefois par d’autres facteurs de perturbation, tels que l’apparition de végétaux nouveaux, ou encore des modifications sensibles des données climatiques. C’est là la vision d’un biologiste, replaçant l’action de l’homme dans une perspective évolutionniste. Celle-ci, plus que jamais, est d’actualité.

Cet article est la suite et fin de l’article « L’Environnement à l’ENS » paru dans L’Archicube n° 4, p. 102 et suivantes.